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(v) * L'ouvrage tout reÃÂcent dont nous preÃÂsentons la traduction au public francçais a un double inteÃÂreÃÂt, et d'abord celui d'eÃÂtre une excellente monographie de Hume . Par des citations bien choisies, par de nombreux emprunts aàla correspondance ou aux eÃÂcrits de son heÃÂros, M. Huxley a su donner en peu de pages une ideÃÂe compleÃÂte de la vie et de la philosophie du grand penseur eÃÂcossais. Le politique aviseÃÂ, l'historien sagace, surtout le philosophe ingeÃÂnieux et subtil, le sage, aux opinions un peu suspectes, mais irreÃÂprochable du moins dans la digniteàde sa vie et dans la sinceÃÂriteàde son caracteÃÂre. Hume enfin tout entier revit dans ce livre sous la plume d'un appreÃÂciateur compeÃÂtent, lecteur assidu du Traiteàde la nature humaine, qui deÃÂclare lui-meÃÂme avoir useàpar ses lectures reÃÂpeÃÂteÃÂes son exemplaire des à Âuvres de Hume. Mais M. Huxley n'a pas ( vi) borneàses commentaires aàce qui eÃÂtait neÃÂcessaire pour encadrer ou relier ses extraits : il y a joint un grand nombre de reÃÂflexions personnelles. L'analyse des raisonnements de Hume a eÃÂteàpour lui une occasion naturelle d'exposer ses propres opinions sur quelques-uns des grands probleÃÂmes philosophiques, la nature de l'esprit et l'origine des ideÃÂes, la diffeÃÂrence de l'animal et de l'homme, l'aÃÂme et Dieu, la liberteàet les principes de la morale. C'est donc, aàpropos de Hume, comme un abreÃÂgeàde sa propre doctrine philosophique que M. Huxley a composeÃÂ, et, quelles qu'en soient les tendances, il est inteÃÂressant de savoir ce que pense de la nature humaine un naturaliste eÃÂminent, qui apreÃÂs avoir soutenu, au point de vue anatomique et physiologique, l'identiteàd'origine et de nature de l'animal et de l'homme, n'a cesseàde reÃÂpeÃÂter que les qualiteÃÂs morales et intellectuelles creusaient entre notre espeÃÂce et les autres ë un gouffre eÃÂnorme, une diffeÃÂrence pratiquement infinie û. M. Huxley ne donne d'ailleurs ses theÃÂories que comme l'expansion naturelle de la penseÃÂe originale de Hume. ë J'ai l'espoir, dit-il, qu'il n'y a rien dans ce que j'ai pu dire qui soit en contradiction avec le deÃÂveloppement logique des principes de Hume. û De sorte qu'on trouvera ici non seulement ce que Hume a eÃÂteàmais ce qu'il aurait pu eÃÂtre, ce qu'il serait devenu, si, vivant un sieÃÂcle plus tard, il s'eÃÂtait meÃÂleàaux physiologistes et aux eÃÂvolutionnistes de notre temps. Quelque raison qu'on ait de supposer que le circonspect auteur des Essais philosophiques (vii) aurait accueilli avec deÃÂfiance la plupart des teÃÂmeÃÂriteÃÂs speÃÂculatives ouàse complaisent nos contemporains, il est certain que, sur bien des points, il est d'avance d'accord avec eux. De laàcette espeÃÂce de renaissance de sa philosophie, dont les symptoÃÂmes se multiplient en France comme en Angleterre. Loin de s'eÃÂteindre, en effet, l'influence philosophique de Hume ne fait que s'accroiÃÂtre, et ces dernieÃÂres anneÃÂes ont vu rapidement grandir le creÃÂdit d'un philosophe dont on avait cru jusqu'ici avoir raison en lui infligeant sans meÃÂnagement l'eÃÂpitheÃÂte de sceptique et meÃÂme de nihiliste. On commence aàreconnaiÃÂtre que sa philosophie n'est pas faite que de neÃÂgations, neÃÂgations d'ailleurs suggestives et feÃÂcondes, qui ont provoqueàchez ses contradicteurs, chez Kant avant tous les autres, de grandes nouveauteÃÂs dogmatiques. Elle contient elle-meÃÂme un dogmatisme particulier et original qui ne saurait eÃÂtre confondu avec le scepticisme vulgaire, et qui nous apparaiÃÂt de plus en plus comme la clef d'un grand nombre de doctrines contemporaines. La philosophie de Hume n'est pas seulement un accident, une curiositeàdans l'histoire de la penseÃÂe : elle en est un eÃÂleÃÂment essentiel ; elle repreÃÂsente un de ces moments deÃÂcisifs, une de ces crises ouàse deÃÂnouent en partie les difficulteÃÂs philosophiques et ouàse preÃÂpare l'eÃÂvolution qui conduit peu aàpeu la penseÃÂe aàse rendre compte d'elle-meÃÂme. C'est la conscience de ce roÃÂle eÃÂminent de Hume qui deÃÂterminait reÃÂcemment M. Renouvier et son infatigable collaborateur M. Pillon aàdonner la premieÃÂre (viii) traduction francçaise d'une partie du Traiteàde la nature humaine, l'à Âuvre la plus dogmatique de Hume, la seule qu'il ait intituleÃÂe TraiteÃÂ, tandis que pour ses autres ouvrages il a preÃÂfeÃÂreàle titre plus modeste d'Essais ou de Recherche (Inquiry [1] ). Les traducteurs francçais se sont d'ailleurs borneÃÂs aàpublier la premieÃÂre partie du TraiteÃÂ, le livre De l'entendement ; ils ont laisseàde coÃÂteàles deux dernieÃÂres parties, le livre II, qui a pour objet les passions, et le livre III, qui traite de la morale ; et, bien qu'ils ne donnent pas les raisons de cette omission, on devine sans peine pourquoi ils ont ainsi limiteàleur effort . Les speÃÂculations de Hume sur la morale et les passions n'ont pas, tant s'en faut, la meÃÂme valeur et la meÃÂme porteÃÂe que ses recherches sur l'intelligence. Outre l'inteÃÂreÃÂt moindre du sujet, ses reÃÂflexions sur les passions ne sont qu'une esquisse superficielle, ouàse fait sentir plus qu'ailleurs le deÃÂfaut commun de toutes les parties de la psychologie de Hume, je veux dire le deÃÂfaut d'informations physiologiques. Quant aàses ideÃÂes sur la morale, Hume sans doute leur attribuait lui-meÃÂme une importance particulieÃÂre ; il les a reprises plus tard dans un ouvrage speÃÂcial, An inquiry concerning the principles of morals, dont il disait avec l'illusion complaisante qui (ix) trop souvent attache un auteur aàcelles de ses à Âuvres qui preÃÂciseÃÂment reÃÂussissent le moins : ë De tous mes eÃÂcrits historiques, philosophiques et litteÃÂraires, celui-laàest incomparablement le meilleur. û Ni les contemporains, ni la posteÃÂriteàn'ont ratifieàce jugement, et de fait la morale de Hume, à Âuvre de bon sens et de sagesse, ressemble trop aàcelle du professeur Hutcheson ou de l'eÃÂveÃÂque Butler pour avoir une veÃÂritable originaliteÃÂ. Le premier livre du Traiteàau contraire, celui ouàle ë profond et subtil philosophe û, comme l'appelle MeÃÂrian dans son Essai sur le pheÃÂnomeÃÂnisme de Hume, analyse les eÃÂleÃÂments de l'esprit et discute les croyances de l'humaniteÃÂ, le livre De l'entendement est reÃÂellement la creÃÂation propre de Hume et l'introduction obligeÃÂe aàl'eÃÂtude de la Raison pure de Kant. Il faut donc remercier les traducteurs exacts et compeÃÂtents qui, pour la premieÃÂre fois, le rendent accessible au public francçais ; en meÃÂme temps qu'il faut noter, comme un des traits les plus caracteÃÂristiques du mouvement philosophique de notre temps, ce retour de fortune qui, apreÃÂs un sieÃÂcle et demi, fait revivre dans une langue eÃÂtrangeÃÂre un fragment consideÃÂrable d'un livre mort-neÃÂ, comme le disait l'auteur lui-meÃÂme, qui, aàson apparition, n'avait pas meÃÂme reÃÂussi aàexciter les murmures des deÃÂvots. Mais la meilleure preuve de ce renouvellement de faveur qu'excite aujourd'hui le nom de Hume, sans parler des travaux allemands de Meinong et de quelques autres, c'est preÃÂciseÃÂment l'ouvrage de (x) M. Huxley. C'est une curieuse rencontre, moins fortuite d'ailleurs qu'elle n'en a l'air, que celle de cet homme de science, qui est en meÃÂme temps un des repreÃÂsentants les plus distingueÃÂs du mouvement philosophique de l'Angleterre contemporaine, eÃÂtudiant et jugeant avec sympathie les à Âuvres d'un philosophe pur. Les savants demandent souvent et avec juste raison que la philosophie se rapproche des sciences ; mais ils ne nous donnent pas toujours l'exemple, et il faut savoir greàaàceux qui, comme M. Huxley, prennent l'initiative de ce rapprochement. Si l'on veut bien se rappeler d'ailleurs avec quelle admiration M. Huxley a toujours parleàdeàDescartes, le ë penseur qui repreÃÂsente mieux que tout autre la souche et le tronc de la philosophie et de la science moderne [2] û , avec quelle vivaciteàil a reÃÂfuteàle paradoxe d'Auguste Comte sur la preÃÂtendue impossibiliteàde la psychologie, et protesteàcontre ce ë solennel non-sens û du fondateur du positivisme francçais, on ne s'eÃÂtonnera pas que, ë s'aventurant une fois de plus dans ces reÃÂgions ouàla philosophie et la science aiment aàse rencontrer, û il soit venu payer son tribut aàla meÃÂmoire d'un grand psychologue, de celui qu'il appelle ë le penseur le plus peÃÂneÃÂtrant du dix-huitieÃÂme sieÃÂcle, bien que ce sieÃÂcle ait produit Kant [3] û. En ceÃÂleÃÂbrant les meÃÂrites philosophiques de Hume, M. Huxley ne fait d'ailleurs qu'acquitter une dette (xi) de l'eÃÂcole aàlaquelle il appartient. Les philosophes anglais de ce temps, et notamment Stuart Mill, n'ont pas assez dit ce qu'ils devaient aàHume ; ils n'ont pas assez deÃÂclareàsoit les emprunts volontaires qu'ils lui ont faits, soit les rapports naturels qui les unissent aàlui. Il eÃÂtait de toute justice que cette omission fuÃÂt reÃÂpareÃÂe. Il s'est trouveàque, sans avoir fait de physiologie, par la seule analyse de la penseÃÂe, Hume a construit une psychologie pheÃÂnomeÃÂnale, une ë psychologie sans aÃÂme û, qui s'adapte aàmerveille aux conclusions du positivisme anglais et de la physiologie contemporaine. M. Huxley et la plupart de ses compatriotes, on le sait, semblent vouloir donner aàdes preÃÂmisses mateÃÂrialistes une conclusion ideÃÂaliste. D'une part, ils consideÃÂrent comme absolument deÃÂmontreÃÂe la correÃÂlation des mouvements de la matieÃÂre nerveuse et des perceptions de la conscience ; ils affirment que les mateÃÂriaux de la conscience sont les produits de l'activiteàceÃÂreÃÂbrale, et ils excluent par suite toute ideÃÂe de substance spirituelle. Mais, d'autre part, ils reÃÂpugnent au mateÃÂrialisme proprement dit, et ils proclament que ë les erreurs du mateÃÂrialisme systeÃÂmatique suffisent aàparalyser l'eÃÂnergie de la vie et en deÃÂtruisent toute la beauteàû Sur ces deux points, il est eÃÂvident qu'ils releÃÂvent de Hume. Celui-ci, il est vrai, n'a pas eÃÂtudieàle cerveau : les quelques passages ouàil parle du systeÃÂme nerveux ne sont que de paÃÂles versions de la physiologie suranneÃÂe de Descartes. Mais il a comme devineàet affirmeàa priori les rapports qui lient les opeÃÂrations de l'esprit aux changements moleÃÂculaires du (xii) cerveau. Surtout il a rigoureusement nieàque l'on puÃÂt connaiÃÂtre, et meÃÂme qu'il existaÃÂt, un substratum pour les pheÃÂnomeÃÂnes de la conscience ; et en cela il est le veÃÂritable peÃÂre du positivisme. Mais d'un autre coÃÂteàHume professe, aàl'eÃÂgard de la substance mateÃÂrielle, le meÃÂme scepticisme qu'aàl'eÃÂgard de la substance spirituelle : de sorte que, parla encore, il est l'inspirateur de cet ideÃÂalisme nouveau aàbase physiologique, qui semble se geÃÂneÃÂraliser aujourd'hui. La penseÃÂe, dit-on, deÃÂpend du cerveau : cela est certain. Mais le cerveau n'a pas plus de substratum que la penseÃÂe, ce que nous appelons le corps n'eÃÂtant qu'un ensemble de repreÃÂsentations conscientes. Il n'y a donc des deux coÃÂteÃÂs que des seÃÂries de pheÃÂnomeÃÂnes qui se succeÃÂdent, qui correspondent les uns aux autres, mais dont la cause ou la substance reste inconnue. ë Que les trembleurs se rassurent donc ! s'eÃÂcrie M.Huxley. Devant le flot montant de la matieÃÂre qui menace de submerger leur aÃÂme et leur liberteÃÂ, qu'ils consultent David Hume. Leur eÃÂmoi le ferait sans doute sourire, il les blaÃÂmerait d'agir comme des paiÃÂens qui se prosternent en tremblant devant l'affreuse idole eÃÂleveÃÂe par leurs mains. Car, apreÃÂs tout, que pouvons-nous savoir relativement aàcette matieÃÂre qui les eÃÂpouvante, sauf que c'est un mot pour exprimer la cause inconnue et hypotheÃÂtique des divers eÃÂtats de notre propre conscience ? û Hume invoqueàici par M. Huxley pour l'aider aàexorciser le fantoÃÂme de la matieÃÂre est bien le peÃÂre de cette philosophie nouvelle, dont les adheÃÂrents parlent comme des mateÃÂrialistes, sans croire aàla (xiii) matieÃÂre, et deÃÂcrivent avec exactitude les opeÃÂrations de l'esprit sans croire aàl'esprit. Il suffirait peut-eÃÂtre de reÃÂfleÃÂchir au succeÃÂs croissant des ideÃÂes de Hume pour se convaincre qu'il eÃÂtait tout autre chose qu'un sceptique : jamais de telles adheÃÂsions ne seraient alleÃÂes aàun systeÃÂme de pur scepticisme. Mais il est neÃÂcessaire de confirmer ces preÃÂsomptions par l'examen de sa philosophie. Que des juges superficiels et irreÃÂfleÃÂchis s'y soient trompeÃÂs, que le sens commun ait accueilli et vulgariseàcette imputation de scepticisme , on ne saurait s'en eÃÂtonner ; et ce qui rend cette erreur excusable, c'est que Hume a contribueàlui-meÃÂme aàla propager. Il se donnait volontiers les airs d'un sceptique ; il arrivait aàrencheÃÂrir meÃÂme sur la forme ordinaire du doute, en proposant, comme il le disait, ë une solution sceptique aàses doutes sceptiques û. Peut-eÃÂtre a-t-il cru neÃÂcessaire, surtout dans les dernieÃÂres anneÃÂes de sa vie, de dissimuler sous des apparences d'insouciance et d'indolence la hardiesse et la nouveauteàde ses vues, aàla facçon de Rabelais, qui cachait sous le masque de la bouffonnerie la teÃÂmeÃÂriteàde sa raison. Mais, si Ton va au fond des choses, on reconnaiÃÂtra avec M. Huxley que ë le nom de sceptique, avec tout ce qu'il implique actuellement, lui fait injure û. Et cette injure ne lui a pas eÃÂteàeÃÂpargneÃÂe par quelques-uns des plus graves penseurs de ce sieÃÂcle. ReÃÂcemment encore M. SecreÃÂtan disait de Hume qu'il n'apporta aàla philosophie ë qu'un demi-seÃÂrieux [4] û. (xiv) Hamilton lui aussi consideÃÂre la philosophie de Hume comme le ë scepticisme aàson vrai sens [5] û. D'apreÃÂs lui, Hume se serait fait un jeu d'emprunter, sans y croire, aàla philosophie courante de son temps, des preÃÂmisses sensualistes, afin de montrer que ces preÃÂmisses aboutissent aàdes conclusions contradictoires avec la conscience. Il n'y a pas trace d'un pareil artifice, d'un pareil jeu de dialectique, dans le Traiteàde la nature humaine, et Hume n'est pas moins sinceÃÂre dans les preÃÂmisses que dans les conclusions de ses longs raisonnements. DeÃÂs l'abord, les espeÃÂrances et les intentions dogmatiques de Hume se marquent par des deÃÂclarations formelles sur le but qu'il compte atteindre et sur la meÃÂthode qu'il veut y employer. Il ne dissimule pas l'ambition de ë proposer un systeÃÂme complet des sciences û ; et aàce systeÃÂme il donnera un fondement nouveau, l'eÃÂtude de la nature humaine. Ce n'est pas avec les timiditeÃÂs d 'un esprit deÃÂsabuseàet convaincu de son impuissance, c'est presque d'un air conqueÃÂrant, et avec l'assurance intreÃÂpide d'un homme qui marche aàla deÃÂcouverte de la veÃÂriteÃÂ, qu'il s'eÃÂcrie : ë Renoncçons aàla longue et fastidieuse meÃÂthode que les philosophes ont jusqu'aàpreÃÂsent suivie, et au lieu de prendre tantoÃÂt un chaÃÂteau, tantoÃÂt un village sur la frontieÃÂre, marchons droit aàla capitale, au centre de toute science : je veux dire aàla nature humaine elle-meÃÂme. û (xv) Je ne connais pas de theÃÂoricien moderne de la psychologie qui ait exprimeàavec plus de force ce que l'on peut attendre de la science de la nature humaine, ë le seul fondement solide pour les autres sciences û, ni qui ait recommandeàplus reÃÂsolument l'application aàla philosophie morale des meÃÂthodes de la philosophie naturelle. Quand M. Huxley deÃÂclare que ë la philosophie est surtout le deÃÂveloppement logique des conseÃÂquences contenues dans les principes eÃÂtablis par la psychologie û, il n'est que l'interpreÃÂte et l'eÃÂcho de Hume ; il l'est encore quand il dit que ë la psychologie ne diffeÃÂre de la physique que par la nature de son objet et non par la meÃÂthode de ses recherches û. Sous ce rapport, rien de plus expressif que le sous-titre du Traiteàde la nature humaine, que ses traducteurs francçais ont eu le tort d'omettre : Essai pour introduire la meÃÂthode expeÃÂrimentale dans les sujets moraux. Sans doute, Hume pousse le paralleÃÂlisme des deux ordres de recherches jusqu'aàdire que ë l'essence de l'esprit nous est aussi inconnue que l'essence des corps û ; l'impossibiliteàd'arriver aux premiers principes est la loi commune de toutes les sciences. Mais la psychologie est une chose, la ë meÃÂtaphysique en est une autre ; et qui donc ne reconnaiÃÂtrait pas aujourd'hui que, en dehors et au-dessous de tout raisonnement et de toute hypotheÃÂse meÃÂtaphysique sur l'aÃÂme, il y a place, une large place, pour la psychologie empirique ou expeÃÂrimentale ? C'est ce que Hume laissait entendre lui-meÃÂme dans un passage important et trop peu remarqueàdu TraiteÃÂ, ouÃÂ, apreÃÂs avoir eÃÂtabli que les dispositions du (xvi) corps deÃÂterminent des changements dans les sentiments et les penseÃÂes, il ajoutait : ë On dira peut-eÃÂtre que cela deÃÂpend de l'union de l'aÃÂme et du corps. Je reÃÂpondrai que nous devons distinguer la question qui concerne la substance de l'esprit de la question qui concerne la cause de sa penseÃÂe [6]. û Il y a laàcomme une porte laisseÃÂe aàdemi ouverte par le psychologue empirique aàceux d'entre les philosophes qui ne se contentent pas d'une psychologie pheÃÂnomeÃÂnale et qui veulent aller au delaÃÂ. Dira-t-on que Hume n'a pas connu ni pratiqueÃÂ, qu'il s'est contenteàde ceÃÂleÃÂbrer dans de vagues geÃÂneÃÂraliteÃÂs la meÃÂthode expeÃÂrimentale ? A coup suÃÂr, on ne peut exiger de lui qu'il ait manieàavec une preÃÂcision parfaite un instrument dont il eÃÂtait presque le premier aàse servir ; mais il s'en faut qu'il ait ignoreàles lois essentielles de l'observation et de l'expeÃÂrience. Ces lois, personne, avant Stuart Mill, ne les a mieux deÃÂtermineÃÂes que ne l'a fait Hume dans le chapitre intituleàReÃÂgles pour Juger des causes et des effets. On y trouvera, au moins exprimeÃÂes et entrevues, les quatre meÃÂthodes que Stuart Mill a rendues ceÃÂleÃÂbres sous les noms de meÃÂthodes de concordance, de diffeÃÂrence, des variations concomitantes, des reÃÂsidus. Aàen croire une opinion qui semble de nos jours se geÃÂneÃÂraliser, il serait impossible de devenir psychologue, si l'on n'avait pas commenceàpar eÃÂtre physiologiste. M. Huxley le proclame avec quelque (xvii) emphase : ë Les laboratoires sont les vestibules du temple de la philosophie, et ceux qui n'ont pas commenceàpar y offrir des sacrifices et y subir les ceÃÂreÃÂmonies de la purification ont peu de chances d'eÃÂtre admis dans le sanctuaire. û M. Huxley oublie que le heÃÂros de son. livre, que Hume lui-meÃÂme, auquel il accorde avec raison un des premiers rangs parmi les penseurs du xviiieÃÂme sieÃÂcle, n'eÃÂtait rien moins qu'un physiologiste. Il est donc permis de discuter la valeur de ce preÃÂtendu axiome de logique scientifique qui fait des eÃÂtudes physiologiques l'initiation neÃÂcessaire des recherches de psychologie. Sans doute, on sait de reste ce que le psychologue peut y gagner, soit comme habitudes d'observation preÃÂcise, soit comme renseignements positifs sur les circonstances mateÃÂrielles qui accompagnent les pheÃÂnomeÃÂnes de conscience . Mais , d'autre part, n'est-il pas aàcraindre que le physiologiste devenu psychologue n'abuse des souvenirs de ses eÃÂtudes anteÃÂrieures pour sacrifier le moral au physique, et pour remplacer par quelques indications psychophysiologiques la description propre des opeÃÂrations mentales et l'analyse des lois qui les reÃÂgissent ? C'est une tendance trop geÃÂneÃÂrale de notre temps et trop peu combattue que celle qui consiste aàdeÃÂcrier la vieille psychologie et aàla consideÃÂrer comme une sorte de litteÃÂrature superficielle et ennuyeuse. Cependant, sans parler de nos maiÃÂtres francçais, cette psychologie de l'observation inteÃÂrieure, cette psychologie du dedans, est preÃÂciseÃÂment celle de Locke et de Hume, dont l'autoriteàne peut eÃÂtre (xviii) suspecte. On dit qu'elle n'a pas de meÃÂthode : n'en est-ce donc pas une que l'observation expeÃÂrimentale, appliqueÃÂe aux teÃÂmoignages directs de notre propre conscience ou aux manifestations si varieÃÂes de toutes les consciences humaines ? On dit que son objet, seÃÂpareàde ses anteÃÂceÃÂdents physiologiques, n'est qu'une abstraction : quoi de plus reÃÂel pourtant, de plus concret que les faits du monde moral, eÃÂtudieÃÂs soit dans les consciences anormales, chez les fous, soit dans les consciences incompleÃÂtes et en voie de formation, chez les enfants, soit enfin et surtout dans les consciences acheveÃÂes et reÃÂgulieÃÂres, chez les hommes d'un esprit sain et muÃÂr ? Que faut-il donc pour constituer une science, si la psychologie inteÃÂrieure n'en est pas une, avec la multitude de faits qu'elle recueille, avec les lois de succession, avec les rapports de causaliteàqu'elle eÃÂtablit entre ces faits ? Que dirait-on du botaniste qui s'emploierait exclusivement aàparler de l'air que la plante respire, du sol ouàelle se nourrit, et qui neÃÂgligerait d'eÃÂtudier la vie propre de la plante dans ses organes et ses fonctions ? Il ne faut pas, parce que tout est lieàdans la nature, meÃÂconnaiÃÂtre que tout est distinct. Ceux qui font la guerre aàla meÃÂthode subjective oublient que, sans la conscience, toutes les analyses ceÃÂreÃÂbrales ne leur apprendraient rien des fonctions de l'esprit. M. Huxley lui-meÃÂme n'est-il pas de notre avis quand il dit : ë On aurait fort embarrasseàM. Comte, si on lui avait demandeàce qu'il entendait par ë physiologie ceÃÂreÃÂbrale û, en dehors de ce qu'on appelle communeÃÂment psychologie , si on lui avait (xix) demandeàencore ce qu'il savait des fonctions du cerveau, en dehors des renseignements fournis par cette ë observation inteÃÂrieure û qu'il traite de chose absurde ? û Enfin, ce serait aàtort que la psychologie nouvelle ferait un grief aàl'ancienne de ne pas expliquer les pheÃÂnomeÃÂnes moraux. C'est aàelle surtout qu'incombe ce reproche : car, aàmoins de faire de la meÃÂtaphysique, et de la meÃÂtaphysique mateÃÂrialiste, les psychophysiciens ne sont eÃÂvidemment pas en eÃÂtat de donner la raison, l'explication des choses ; ils doivent se contenter de juxtaposer, dans leur paralleÃÂlisme perpeÃÂtuel, les deux seÃÂries de faits qu'ils observent, mouvements ceÃÂreÃÂbraux d'une part, opeÃÂrations mentales de l'autre. C'est bien laÃÂ, si je ne me trompe, la position que s'efforcent de garder, en eÃÂcartant toute explication substantielle, les philosophes de notre temps qui, aàl'exemple de Hume, consideÃÂrent comme preÃÂsomptueuses et chimeÃÂriques les recherches relatives aàl'origine ultime des faculteÃÂs humaines. Seulement, en meÃÂme temps qu'ils empruntent aàl'auteur du Traiteàde la nature humaine son deÃÂdain des speÃÂculations meÃÂtaphysiques, ils neÃÂgligent de l'imiter dans ses efforts pour fonder une psychologie descriptive, indeÃÂpendante de la physiologie et se suffisant aàelle-meÃÂme. Quand on a montreàque Hume avait un but et une meÃÂthode, qu'il voulait organiser une science de l'homme en meÃÂme temps qu'il savait par quels moyens elle peut eÃÂtre constitueÃÂe, il semble qu'on ait deÃÂjaàplus qu'aàmoitieàreÃÂpondu aàceux qui (xx) verraient en lui le type de la nonchalance philosophique, promenant avec indiffeÃÂrence sa reÃÂflexion de probleÃÂme en probleÃÂme, pour les agiter seulement et y distraire un instant sa penseÃÂe, sans chercher jamais aàles reÃÂsoudre. Mais, pour que notre reÃÂponse soit compleÃÂte, il faut passer des intentions de Hume aàses actes, et montrer qu'il n'a pas seulement projeteàde construire, qu'il a construit en effet une psychologie, eÃÂtroite sans doute et souvent inexacte, mais qui n'en offre pas moins un tout bien lieÃÂ. Rien de plus injuste aàcet eÃÂgard que l'arreÃÂt trop sommaire prononceàcontre lui par un eÃÂcrivain contemporain : ë Il n'a rien de suivi ni de raisonneàdans ses penseÃÂes. Elles se succeÃÂdent sans lien logique, sans connexion harmonique, comme les eÃÂveÃÂnements du monde qu'il a imagineà[7]. û Le premier meÃÂrite de Hume est d'avoir contribueàaàeÃÂliminer de la psychologie la conception vicieuse qui intronise dans l'esprit, sous le titre de faculteÃÂs indeÃÂpendantes et distinctes, autant d'entiteÃÂs imaginaires. Ce legs et, comme le dit M. Huxley, ë cette damnosa haereditas de l'ancienne philosophie û, Hume les reÃÂpudie, et il s'efforce de s'en tenir aux reÃÂsultats de l'observation seule, en excluant tout ce qui est hypotheÃÂse. Il est vrai que, si la justesse de son esprit critique l'empeÃÂche d'imaginer dans l'esprit ce qui n'y est pas, l'eÃÂtroitesse de ses preÃÂjugeÃÂs empiriques le privera d'y voir tout ce qui y est. Le contenu de l'esprit, on le sait, se reÃÂduit, d'apreÃÂs (xxi) Hume, aàdeux seÃÂries d'eÃÂleÃÂments, les impressions et les ideÃÂes : les impressions, c'est-aÃÂ-dire les sensations, les eÃÂmotions de plaisir ou de peine et meÃÂme les passions, ë lorsqu'elles font leur premieÃÂre apparition dans l'aÃÂme û ; les ideÃÂes, c'est-aÃÂ-dire les images affaiblies des impressions. Les impressions et les ideÃÂes seront simples, s'il est impossible de les analyser ; complexes, si l'on peut y distinguer plusieurs eÃÂleÃÂments. Les ideÃÂes deÃÂrivent toujours d'impressions anteÃÂrieures ; mais ou bien elles reproduisent ces impressions avec vivaciteàet dans l'ordre primitif : ce sont alors les ideÃÂes du souvenir ; ou bien elles les renouvellent avec une vivaciteàmoindre et dans un ordre nouveau : ce sont les ideÃÂes de l'imagination. Telle est, d'apreÃÂs Hume, la geÃÂographie eÃÂleÃÂmentaire de l'esprit. Tout le monde est d'accord aujourd'hui pour en reconnaiÃÂtre les deÃÂfauts et les lacunes ; mais il n'est que juste aussi de signaler l'importance de quelques-unes des distinctions eÃÂtablies par Hume, notamment de celle qui aux impressions et aux ideÃÂes simples oppose les impressions et les ideÃÂes complexes. L'analyse psychologique, dans son sens le plus rigoureux, repose tout entieÃÂre sur cette distinction ; aussi sommes-nous eÃÂtonneÃÂs que dans son Introduction, si preÃÂcise et si compleÃÂte, M. Pillon ait omis d'en parler. Remarquons aussi qu'elle a donneàlieu aàune meÃÂprise dans le livre pourtant si bien informeàde M. Huxley [8]. L'auteur se plaint que Hume ait compteàparmi les impressions des eÃÂtats (xxii) manifestement complexes, comme les passions. ë S'il avait connu, dit-il, cet admirable morceau de psychologie anatomique qu'on appelle la troisieÃÂme partie de l'EÃÂthique de Spinoza (les passions), il aurait su que les eÃÂmotions et les passions ne peuvent compter parmi les mateÃÂriaux simples de la conscience. û Pour justifier Hume, sinon de l'ignorance historique, au moins de l'erreur de doctrine qui lui est imputeÃÂe, il suffiÃÂt de faire remarquer que les impressions ne sont pas neÃÂcessairement simples, la distinction du simple et du complexe s'appliquant aux impressions aussi bien qu'aux ideÃÂes. ë Les impressions de reÃÂflexion, dit Hume, c'est-aÃÂ-dire les passions, les deÃÂsirs, les eÃÂmotions, viennent en grande partie des ideÃÂes [9]. û Il y a donc des impressions complexes, non moins que des impressions simples, impressions qui preÃÂceÃÂdent sans doute les ideÃÂes qui leur correspondent, mais qui sont posteÃÂrieures aux impressions de sensation ou aux ideÃÂes de ces impressions. Qu'on relise d'ailleurs les chapitres consacreÃÂs par Hume aàl'eÃÂtude des passions, et l'on se convaincra qu'il savait aussi bien que Spinoza ce qu'il y a de complexe, de composeÃÂ, d'heÃÂteÃÂrogeÃÂne jusque dans les passions en apparence primitives. Une critique mieux fondeÃÂe est celle que s'est attireÃÂe Hume pour l'une des raisons qu'il donne de la diffeÃÂrence de la meÃÂmoire et de l'imagination. Que l'imagination ait, comme il le dit, pour caracteÃÂre de modifier l'ordre, d'alteÃÂrer la forme des ideÃÂes et des (xxiii) souvenirs qui servent de mateÃÂriaux aàses fictions, nul n'y contredit ; mais ce qui n'est pas admissible, c'est que l'imagination ait moins de vivaciteàet de force que le souvenir. ë En fait, dit M. Huxley, j'ai une ideÃÂe beaucoup plus vive de personnages de roman, tels que M. Pickwick ou le colonel Newcome, que de telle personne que je me rappelle avoir vue il y a quelques anneÃÂes. û M. Pillon fait la meÃÂme remarque : ë Demandez aux auteurs d'un poeÃÂme eÃÂpique, tel que l'Iliade ou la JeÃÂrusalem deÃÂlivreÃÂe, s'ils n'ont pas des combats rapporteÃÂs dans ce poeÃÂme une ideÃÂe plus vive que des batailles reÃÂelles rapporteÃÂes dans une histoire quelconque [10]. û Et, s'il nous est permis de nous citer nous-meÃÂme, nous avions fait une observation analogue dans notre eÃÂtude sur la Philosophie de Hume : ë La conception du triangle, du cercle, n'est-elle pas beaucoup plus vive pour le geÃÂomeÃÂtre que la conception de CeÃÂsar ou de Charlemagne pour un historien ? Et cependant nous croyons que CeÃÂsar, que Charlemagne ont existeÃÂ, tandis que nous prenons le cercle, le triangle pour ce qu'ils sont, c'est-aÃÂ-dire pour des abstractions et des hypotheÃÂses [11]. û La diffeÃÂrence du souvenir et de l'image ne doit pas eÃÂtre chercheÃÂe dans une qualiteàintrinseÃÂque qui serait un degreàde plus ou de moins dans la force de la repreÃÂsentation : c'est une diffeÃÂrence de relation. Le souvenir est lieàpar des relations indissolubles aàd'autres souvenirs ; il est un (xxiv) anneau fixe attacheàaàd'autres anneaux dans la longue chaiÃÂne de la meÃÂmoire, et voilaàpourquoi le souvenir entraiÃÂne la croyance. L'imagination pure au contraire est une conception qui n'a avec les autres ideÃÂes que des relations laÃÂches, des liens fragiles, qu'il deÃÂpend de nous de briser, et c'est pour cela qu'elle laisse notre jugement libre. Hume a donc deÃÂjaàcommis quelques meÃÂprises sur la nature des eÃÂleÃÂments qu'il reconnaiÃÂt dans l'esprit ; mais son erreur la plus grave, c'est d'avoir omis un de ces eÃÂleÃÂments. Dans la carte qu'il dresse de la conscience, il y a tout un territoire oublieÃÂ, celui des lois natives de l'esprit, des conditions, des formes de la penseÃÂe. Sur ce point, tous les nouveaux critiques de Hume sont d'accord. M. Huxley s'appuie sur Kant et aussi sur M. Herbert Spencer pour eÃÂtablir que les impressions sensibles, les ideÃÂes de l'expeÃÂrience, ne sont pas les seuls mateÃÂriaux de l'esprit, qu'il y a d'autres eÃÂleÃÂments simples, indeÃÂcomposables, de la conscience, ce qu'on appelle, selon les eÃÂcoles, veÃÂriteÃÂs premieÃÂres, principes a priori, cateÃÂgories. Seulement l'esprit anglais, avant tout ami de la clarteÃÂ, ne s'accommode pas des subtiles et parfois obscures analyses de Kant, et voici comment, avec les comparaisons pittoresques qui lui sont familieÃÂres, M. Huxley appreÃÂcie le langage du philosophe allemand : ë L'exposition de Kant, dit-il, est d'un style si embarrasseÃÂ, elle est si eÃÂtrangement alourdie par le poids d'une scolastique encombrante, qu'il n'est que trop aiseàde confondre les parties accessoires de son systeÃÂme (xxv) avec celles qui offrent un inteÃÂreÃÂt capital. Le train des eÃÂquipages y est plus consideÃÂrable que l'armeÃÂe elle-meÃÂme, et l'eÃÂtudiant qui s'attaque aàl'à Âuvre de Kant est trop souvent exposeàaàcroire qu'il s'est empareàd'une position importante, lorsqu'il a seulement captureàune poigneÃÂe de traiÃÂnards inutiles. û Ramenant donc aàleur plus simple expression les analyses critiques de Kant, M. Huxley reÃÂduit aàtrois rapports essentiels les liaisons naturelles qui existent entre les ideÃÂes et qui en assurent la coheÃÂsion. Et ces rapports immeÃÂdiatement percçus par l'esprit, et auxquels il est tout disposeàaàconserver le nom d'impressions, d'impressions de relation, en souvenir de la terminologie de Hume, il les limite aàtrois : les relations de coexistence, de succession et de ressemblance. Ce n'est pas ici le lieu de rechercher si cette courte eÃÂnumeÃÂration eÃÂpuise la liste des relations fondamentales qui, avec les sensations eÃÂleÃÂmentaires de plaisir ou de peine, constituent les faits ultimes et irreÃÂductibles de la conscience. Mais ce qu'il importe de remarquer, c'est que la philosophie en a deÃÂsormais fini avec le vieux sensualisme, avec cet empirisme un peu naiÃÂf qui n'admettait que des impressions isoleÃÂes indeÃÂpendantes, atomes de penseÃÂe, qui finissaient par s'associer je ne sais comment. Dans ce systeÃÂme, la conscience n'est plus pour ainsi dire qu'une poussieÃÂre d'ideÃÂes, sans coheÃÂsion, sans consistance, preÃÂte aàs'eÃÂvaporer au premier souffle contraire ; les cadres manquent pour contenir l'expeÃÂrience, les lois pour la diriger, les conditions meÃÂme pour la rendre (xxvi) possible. Ce que la philosophie spiritualiste francçaise appelle la raison n'est pas seulement neÃÂcessaire pour compleÃÂter, pour couronner, l'expeÃÂrience : elle en est la racine et le principe. Qu'est-ce en effet que percevoir un objet exteÃÂrieur, sinon localiser dans un point de l'espace les qualiteÃÂs que les sens nous reÃÂveÃÂlent ? Qu'est-ce que percevoir un fait de conscience inteÃÂrieure, sinon rattacher aàun moment de la dureÃÂe l'impression produite ? De quelque nom qu'on les appelle, avec Kant et ses disciples ë cateÃÂgories et formes de la penseÃÂe û, ë sens inteÃÂrieur û avec M. Huxley, avec d'autres enfin ë principes inneÃÂs et veÃÂriteÃÂs premieÃÂres û, il est certain que ces principes existent, qu'ils accompagnent toute sensation dont ils sont la reÃÂgle latente et la condition inapercçue, avant d'en eÃÂtre la loi consciente et reÃÂfleÃÂchie. Et meÃÂme l'esprit arrive plutoÃÂt qu'on ne croit aàs'en rendre compte, aàles exprimer dans des formules approximativement exactes. L'enfant qui vers six ou sept ans cherche avec son peÃÂre un objet perdu et qui, s'impatientant de ne pas le retrouver, s'eÃÂcrie : ce Pourtant quelque chose est bien toujours quelque part, û n'exprime-t- il pas lui-meÃÂme, sous une forme naiÃÂve, l'ideÃÂe de la relation qui existe entre toute perception exteÃÂrieure et un lieu deÃÂtermineà? Nous ne songeons pas aàatteÃÂnuer la graviteàde l'omission de Hume. Comme le remarque M. Huxley, ë on a lieu d'eÃÂtre surpris qu'un penseur de la valeur de Hume se soit contenteàd'une analyse psychologique qui, parmi les eÃÂtats eÃÂleÃÂmentaires de l'esprit, omet toute une cateÃÂgorie treÃÂs importante de faits. û (xxvii) Mais, il n'est que juste de le reconnaiÃÂtre, Hume, quoique confuseÃÂment, a reÃÂtabli par endroits la veÃÂriteàqu'il avait nieÃÂe, et rouvert timidement la porte aux principes qu'il avait exclus. Il admet en effet un certain nombre de relations fondamentales, la ressemblance, l'identiteÃÂ, l'espace et le temps, la quantiteÃÂ, les degreÃÂs dans la qualiteÃÂ, les contraires, le rapport de cause aàeffet. Ces relations primitives et naturelles, qui jouent dans le monde moral le meÃÂme roÃÂle que l'attraction dans le monde physique, Hume deÃÂclare qu'il ne preÃÂtend pas les expliquer et qu'elles doivent eÃÂtre consideÃÂreÃÂes ë comme des qualiteÃÂs originelles de la nature humaine û. N'est-ce pas avouer que l'esprit n'est pas domineàseulement par l'expeÃÂrience et l'habitude, qu'il trouve en lui-meÃÂme un certain nombre de principes d'union, d'association, entre les ideÃÂes ? Hume semble s'eÃÂtre rapprocheàencore plus de la reÃÂaliteÃÂ, et avoir compris la nature veÃÂritable des relations intellectuelles, quand il dit de l'eÃÂgaliteàde deux figures geÃÂomeÃÂtriques : ë L'eÃÂgaliteàn'est pas aàproprement parler une qualiteàinheÃÂrente aux figures elles-meÃÂmes : elle deÃÂrive de la comparaison que l'esprit eÃÂtablit entre elles [12]. û N'est-ce pas en effet reconnaiÃÂtre, dans un cas particulier, la puissance propre de l'esprit dominant les impressions isoleÃÂes qui se succeÃÂdent devant lui et affirmant intuitivement leur rapport ? Hume a donc tout au moins heÃÂsiteÃÂ, tergiverseÃÂ, dans la question des eÃÂleÃÂments de l'esprit. Comme il (xxviii) arrive toujours quand on s'eÃÂcarte de la veÃÂriteÃÂ, sa penseÃÂe, geÃÂneÃÂralement si ferme et si preÃÂcise, se brouille et se trouble toutes les fois qu'il discute la nature des relations. On peut croire que les magistrales theÃÂories de Kant, s'il avait assez veÃÂcu pour les connaiÃÂtre, auraient mis un terme aàses indeÃÂcisions et lui eussent fait comprendre l'impossibiliteàde nier les lois inneÃÂes de l'esprit. Comme on l'a fait ingeÃÂnieusement remarquer, il n'a pas pu lui-meÃÂme exposer sa theÃÂorie empirique sans y faire intervenir des ideÃÂes rationnelles. DeÃÂs les premieÃÂres lignes de son livre, et dans la distinction meÃÂme qu'il eÃÂtablit entre les ideÃÂes et les impressions, il fait intervenir deux concepts : celui de ressemblance, et celui d'anteÃÂrioriteàet de posteÃÂrioriteÃÂ, c'est-aÃÂ-dire de temps. ë Les ideÃÂes, dit-il, sont semblables et conseÃÂcutives aux impressions. Semblables, conseÃÂcutives ! il est clair qu'on ne peut citer les impressions d'ouàsont tireÃÂs les faits de conscience exprimeÃÂs par ces deux mots [13]. û ApreÃÂs tous les efforts tenteÃÂs par les psychologues de l'EÃÂcole de l'association pour ramener aux acquisitions de l'expeÃÂrience les lois inneÃÂes de l'intelligence, la philosophie anglaise elle-meÃÂme est obligeÃÂe de revenir aàl'inneÃÂiteàde Descartes et de dire avec M. Huxley que certaines relations irreÃÂductibles sont ë comme les sensations d'un sens inteÃÂrieur qui prend connaissance des mateÃÂriaux fournis par les sens exteÃÂrieurs û. Hume a-t-il nieàles veÃÂriteÃÂs neÃÂcessaires ? C'est ici surtout qu'il convient d'examiner de preÃÂs la nature (xxix) du scepticisme qui lui est imputeÃÂ, et pour cela de rappeler brieÃÂvement son opinion sur les veÃÂriteÃÂs geÃÂomeÃÂtriques et sur le principe de causaliteÃÂ. Sur le premier point, il faut reconnaiÃÂtre que Hume a varieàdans l'expression de sa penseÃÂe. Lisez le Traiteàde la nature humaine : la certitude geÃÂomeÃÂtrique semble s'eÃÂvanouir ; les lignes et les surfaces, les ideÃÂes d'eÃÂgaliteàet d'ineÃÂgaliteàn'ont aucune preÃÂcision ; emprunteÃÂes aux sens, elles participent aàtout ce qu'il y a de vague, d'indeÃÂtermineÃÂ, dans les impressions sensibles ; enfin les deÃÂmonstrations elles-meÃÂmes n'eÃÂchappent pas aux deÃÂfaillances naturelles de l'esprit, et par suite ë toute connaissance, meÃÂme geÃÂomeÃÂtrique, deÃÂgeÃÂneÃÂre en probabiliteà[14] û, Mais dans les Essais le langage de Hume est tout diffeÃÂrent. Ici, les veÃÂriteÃÂs geÃÂomeÃÂtriques et les veÃÂriteÃÂs de fait sont distingueÃÂes avec force. ë Tous les objets des recherches de la raison peuvent, dit-il, se diviser en deux cateÃÂgories : d'une part, les relations d'ideÃÂes ; d'autre part, les choses de fait. A la premieÃÂre classe appartiennent les sciences telles que la geÃÂomeÃÂtrie, l'algeÃÂbre et l'arithmeÃÂtique, en un mot toutes les affirmations qui sont ou intuitives ou deÃÂmonstrativement certaines ... Les propositions de cette espeÃÂce se deÃÂcouvrent par la seule opeÃÂration de la penseÃÂe et ne deÃÂpendent en rien des choses qui existent dans l'univers [15]. û Il n'est gueÃÂre possible de faire une deÃÂclaration plus formelle et de marquer plus nettement (xxx) les caracteÃÂres propres aux veÃÂriteÃÂs d'intuition et de deÃÂmonstration. Et nous ne nous eÃÂtonnons pas que Kant, s'en rapportant aàce passage, ait cru devoir compter Hume parmi ceux qui admettent la certitude absolue et neÃÂcessaire des connaissances matheÃÂmatiques [16] : ce qui est vrai de Hume des Essais, mais non de Hume du Traiteà[17]. Hume ayant formellement deÃÂclareàqu'il ne fallait chercher sa penseÃÂe deÃÂfinitive que dans les Essais, il semble qu'il soit permis de se ranger aàl'avis de Kant et de conclure que, se contredisant et se reÃÂfutant lui-meÃÂme, l'auteur des Essais, mieux informeÃÂ, a restitueàaux ideÃÂes et aux propositions matheÃÂmatiques une autoriteàqu'il leur avait d'abord refuseÃÂe. En tout cas, la contradiction meÃÂrite d'eÃÂtre signaleÃÂe et ne permet pas que l'on confonde sans reÃÂserve Hume avec les philosophes qui ne distinguent en rien les veÃÂriteÃÂs geÃÂomeÃÂtriques des autres formes de la croyance. Mais, dira-t-on, l'affirmation vraiment rationaliste des Essais ne se concilie pas avec les autres parties du systeÃÂme de Hume. Nous reÃÂpondrons que, pour comprendre la penseÃÂe de Hume, il faut s'eÃÂtre deÃÂbarrasseàdes preÃÂventions que peut faire naiÃÂtre contre lui une fausse assimilation de sa doctrine avec le sensualisme vulgaire. Ne nous laissons pas prendre aàce mot d'impression que Hume avait bien sans doute le (xxxi) droit d'employer dans le sens qu'il lui plaisait, mais qui cependant a le tort d'eÃÂgarer l'esprit en l'invitant aàcroire que les premiers eÃÂleÃÂments de l'intelligence sont dus aàune veÃÂritable expeÃÂrience, aàdes acquisitions sensibles, aàl'action d'objets reÃÂellement exteÃÂrieurs. Pour Hume, les impressions, premiers modeÃÂles des ideÃÂes, sont tout aussi subjectives que les ideÃÂes, copies fideÃÂles des impressions. L'expeÃÂrience a dans sa penseÃÂe une tout autre signification que dans la penseÃÂe du vulgaire : elle repreÃÂsente non ce qui vient du dehors, car rien ne vient du dehors, mais ce qui se renouvelle et se reÃÂpeÃÂte. Cela eÃÂtant, les faits premiers de l'esprit, les impressions, selon le mot de Hume, ne sont pas aàproprement parler des faits d'expeÃÂrience. Hume sans doute se refuse aànous dire quelle est leur origine, et il se borne aàconstater qu'ils existent. Mais n'est-ce pas en un sens avouer qu'ils sont a priori, qu'ils s'imposent du premier coup, que toute reÃÂpeÃÂtition, tout renouvellement de ces impressions est inutile pour que l'esprit saisisse les rapports qui existent entre elles ? Il n'est donc pas impossible de comprendre comment, dans son systeÃÂme qui n'est pas un empirisme sensualiste, qui se rapproche beaucoup au contraire de l'ideÃÂalisme, Hume peut faire place aàla certitude toute subjective des veÃÂriteÃÂs geÃÂomeÃÂtriques. Accordons d'ailleurs de bonne graÃÂce qu'il est sur ce point d'un laconisme deÃÂcourageant, que le petit paragraphe de quelques lignes ouàil distingue les veÃÂriteÃÂs de fait et les veÃÂriteÃÂs d'intuition a tout l'air d'une concession plus apparente que (xxxii) reÃÂelle, que le philosophe enfin n'a pas pris le temps d'eÃÂclaircir sa penseÃÂe et de coordonner ses opinions, presseàqu'il eÃÂtait de diriger ses coups contre la notion de cause et le principe de causaliteÃÂ. On ose aàpeine revenir sur un sujet aussi rebattu que celui de la neÃÂcessiteàde la relation causale. Il le faut cependant, car c'est laàpeut-eÃÂtre que Hume aàla fois a eÃÂteàle plus original et s'est le plus gravement trompeÃÂ. Personne n'a plus contribueàaàeÃÂclaircir la question ; personne n'a plus reÃÂsolument nieàla valeur de cette liaison neÃÂcessaire, qui est la forteresse inexpugnable ouàdoit se reÃÂfugier toute meÃÂtaphysique et qu'on appelait reÃÂcemment ë le type parfait, mais unique de la neÃÂcessiteàprimordiale [18] û. Admettre une relation intuitive ou deÃÂmontreÃÂe entre les ideÃÂes de la geÃÂomeÃÂtrie, cela, apreÃÂs tout, ne pouvait reÃÂpugner aàHume : car cette relation tout ideÃÂale n'engageait pas les questions d'existence. Mais il en eÃÂtait autrement de la relation de cause aàeffet : car, la neÃÂcessiteàrationnelle de la cause une fois admise, il n'est plus possible aàl'esprit de se renfermer en lui -meÃÂme ; il lui faut passer de la reÃÂgion des ideÃÂes aàla reÃÂgion des existences, et par delaàle monde des conceptions subjectives lieÃÂes par l'expeÃÂrience et par l'habitude, reconnaiÃÂtre l'existence des causes qu'on n'observe pas, qu'on n'expeÃÂrimente pas, mais qu'on affirme comme neÃÂcessaires. De laàl'effort de Hume pour reÃÂduire la relation causale aàune simple succession de deux eÃÂveÃÂnements, (xxxiii) succession qui par son renouvellement freÃÂquent deÃÂtermine l'esprit aàpasser de l'ideÃÂe de l'un aàl'ideÃÂe de l'autre . La preÃÂtention de Hume est donc de prouver qu'il n'y a pas entre la cause et l'effet d'autre rapport qu'un lien d'imagination ou d'habitude eÃÂtabli par l'expeÃÂrience. Pour en arriver laÃÂ, il montre que nous ne pouvons jamais connaiÃÂtre aàpriori la nature d'une cause ou d'un effet. En cela, comment ne pas voir qu'il deÃÂplace la question ? Sans doute la raison ne peut devancer l'expeÃÂrience dans la deÃÂtermination de la cause, mais elle lui impose l'obligation de la chercher, de croire aàson existence avant qu'elle l'ait trouveÃÂe, et, quand elle l'a trouveÃÂe, de croire aàun rapport neÃÂcessaire entre cette cause et son effet. Ici, M. Huxley lui-meÃÂme nous donne raison et deÃÂclare que l'argumentation de Hume n'est pas rigoureusement concluante : ë De ce que nous sommes incapables de dire quelle cause a preÃÂceÃÂdeàou quel effet suivra un eÃÂveÃÂnement, s'ensuit-il que nous soyons dispenseÃÂs de supposer neÃÂcessairement que cet eÃÂveÃÂnement a eu une cause et qu'il aura un effet. Le savant qui deÃÂcouvre un nouveau pheÃÂnomeÃÂne peut ignorer compleÃÂtement la cause de ce pheÃÂnomeÃÂne, mais il n'heÃÂsite pas aàla chercher. Et, si vous lui demandez pourquoi il le fait, il vous reÃÂpondra probablement : Parce qu'il doit y avoir une cause ; - ce qui revient aàdire que sa croyance aàla causaliteàest une croyance neÃÂcessaire. û L'ignorance ouànous sommes de la nature de la cause, tant que nous n'avons pas eu recours aàl'expeÃÂrience, ne supprime donc pas notre preÃÂvision (xxxiv) rationnelle de l'existence d'une cause quelconque. Ici, le fait sur lequel Hume s'appuie est un fait certain : seulement il lui donne une conclusion qu'il ne comporte pas. Mais voici qu'il appelle aàson aide un fait au moins contestable : il preÃÂtend que nous pouvons penser aàun pheÃÂnomeÃÂne sans lui attribuer une relation causale avec un autre pheÃÂnomeÃÂne. ë Comme toutes les ideÃÂes distinctes peuvent eÃÂtre seÃÂpareÃÂes l'une de l'autre, dit-il, et comme les ideÃÂes de cause et d'effet sont eÃÂvidemment distinctes, il nous sera facile de concevoir un effet sans cause. û Il est eÃÂvident d'abord que Hume fait un cercle vicieux : car, pour justifier la conclusion que l'on peut seÃÂparer l'ideÃÂe de cause et l'ideÃÂe d'effet, il suppose d'abord que toutes nos ideÃÂes peuvent eÃÂtre concçues l'une sans l'autre ; et ce principe ne serait preÃÂciseÃÂment eÃÂtabli que si l'on avait deÃÂmontreàau preÃÂalable la possibiliteàrationnelle d'admettre un effet sans penser aàune cause ou reÃÂciproquement. Mais, en fait, est-il vrai que les hommes puissent admettre un commencement d'existence sans cause productrice, et soient disposeÃÂs, par exemple, aàreÃÂver des eÃÂtoiles ouàla loi de causaliteàn'est plus souveraine ? Dans une page inteÃÂressante, M. Huxley s'efforce d'accreÃÂditer l'opinion de Hume [19] et de montrer que la neÃÂcessiteàcausale n'est pas universellement admise. Pour le vulgaire qui ne reÃÂfleÃÂchit pas, dit-il, les neuf dixieÃÂmes des faits journaliers n'eÃÂveillent pas l'ideÃÂe d'un rapport de causaliteà; bien plus, (xxxv) ajoute-t-il, le vulgaire nie pratiquement ce rapport, puisqu'il attribue ces faits au hasard. La reÃÂponse est facile ; d'abord il est bien eÃÂvident que la loi de causaliteàn'est la loi que de la penseÃÂe qui reÃÂfleÃÂchit. De meÃÂme que les lois invariablement neÃÂcessaires de la physique ne s'appliquent que sous certaines conditions et dans des circonstances donneÃÂes, de meÃÂme la loi de causaliteàne s'impose aàl'esprit que quand l'esprit se deÃÂveloppe et se compleÃÂte selon ses tendances normales. Quand on dit que la causaliteàest universelle et neÃÂcessaire, tout ce que l'on veut dire, c'est que, partout ouàla reÃÂflexion va, la loi de causaliteàla suit. D'autre part, le hasard, si souvent invoqueàpar les hommes aàl'origine des eÃÂveÃÂnements qu'ils ne comprennent pas, n'eÃÂquivaut ement aàla neÃÂgation de toute causaliteà; aux yeux du vulgaire, le hasard, la fortune, sont des causes mysteÃÂrieuses, de treÃÂs reÃÂelles et treÃÂs effectives puissances. M. Huxley cite encore, aàl'appui de sa theÃÂse, ce proverbe familier : ë Le vent souffle ouàil lui plaiÃÂt ; û mais n'est-il pas eÃÂvident que ce dicton, s'il exclut l'ideÃÂe d'une cause exteÃÂrieure, attribue au vent lui-meÃÂme une causaliteàimmanente, analogue aux fantaisies ou aux volonteÃÂs de l'homme ? Mais il serait oiseux de prolonger la discussion, puisque M. Huxley veut bien reconnaiÃÂtre dans ses conclusions que la croyance aàla causaliteàest une tendance naturelle de l'intelligence. Il persiste seulement aàsoutenir que le principe de causaliteàn'est que ë le symbole verbal d'un acte purement automatique de l'esprit, qui est tout aàfait extra-logique, et qui serait (xxxvi) illogique s'il n'eÃÂtait pas incessamment veÃÂrifieàpar l'expeÃÂrience. û Nous avouons ne pas comprendre comment une tendance instinctive, toujours justifieÃÂe par les faits, peut deÃÂpasser ou contredire la logique. Quoi qu'il en soit, M. Huxley est d'accord sur ce point, comme sur d'autres, avec l'auteur du Traiteàde la nature humaine. Hume lui aussi combat au nom de la logique les croyances rationnelles : mais il les reÃÂtablit au nom de la nature et des instincts spontaneÃÂs. ë La nature maintient toujours ses droits, et triomphe en fin de compte de tous les raisonnements abstraits. û - ë Par une neÃÂcessiteàabsolue et au-dessus de tout controÃÂle, la nature nous deÃÂtermine aàjuger, aussi bien qu'aàrespirer et aàsentir. û Les deÃÂcisions des philosophes, dit-il ailleurs, ne sont que les reÃÂflexions de la vie commune organiseÃÂes et corrigeÃÂes (methodised and corrected). Par laàs'expliquent sans doute les contradictions apparentes de Hume, dissertant avec candeur et sinceÃÂriteàsur l'existence de Dieu et meÃÂme sur l'immortaliteàde l'aÃÂme, apreÃÂs avoir nieàtoute ideÃÂe de cause. A ses analyses sceptiques de l'entendement, le philosophe donne des conclusions pratiques qui se rapprochent fort de celles du sens commun, et, apreÃÂs qu'il a sembleàse brouiller avec les croyances de l'humaniteÃÂ, son plus vif deÃÂsir est de se reÃÂconcilier avec elles. En tout cas, et en laissant de coÃÂteàles questions meÃÂtaphysiques, il est eÃÂvident que, sur le terrain des faits et dans le domaine de la psychologie proprement dite. Hume n'est rien moins qu'un sceptique. ë Suis-je un sceptique ? dit-il quelque part. La (xxxvii) question est superflue. Quiconque prend la peine de reÃÂfuter les subtiliteÃÂs du scepticisme absolu discute en veÃÂriteàcontre un adversaire qui n'existe pas. û On n'est pas un sceptique parce qu'on nie tel ou tel ordre de croyances. Sans doute Hume n'a pas fait assez grande la part de l'inneÃÂiteà; il a trop accordeàaàla coutume, c'est-aÃÂ-dire aàla reÃÂpeÃÂtition des expeÃÂriences ; il a volontairement omis la discussion de l'origine des impressions et des faits eÃÂleÃÂmentaires de l'esprit. Le moi tel qu'il le concçoit, ë cette collection, ce monceau de perceptions, û comme il l'appelle, n'est qu'une fantasmagorie qui deÃÂroule ses tableaux dans le vide ; c'est, suivant les expressions meÃÂmes de M. Huxley, ë comme un feu d'artifice, habilement composeàde mateÃÂriaux combustibles, qui s'enflamme sous l'action d'une eÃÂtincelle et en s'enflammant produit des figures, des mots, des cascades de feu deÃÂvorant, jusqu'aàce qu'il s'eÃÂvanouisse dans l'obscuriteàde la nuit. û Le monde ouàil conduit nos pas est une reÃÂgion obscure dont on ne voit ni le commencement ni la fin. Deux choses surtout manquent aàson systeÃÂme : l'ideÃÂe de la cause et l'ideÃÂe du but. Aussi n'a-t-il pas meÃÂme soupcçonneàla theÃÂorie de l'eÃÂvolution, tandis qu'il devinait la plupart des conceptions qui alimentent les poleÃÂmiques de notre temps. S'il l'euÃÂt connue d'ailleurs, il l'euÃÂt probablement repousseÃÂe, deÃÂconcerteàdans la prudence et la sagesse de ses vues par d'aussi audacieuses hypotheÃÂses. Mais s'il a laisseàdans l'ombre le cadre, si je puis dire, de la nature humaine, ses origines et sa (xxxviii) destineÃÂe, du moins il a esquisseàle tableau de ses opeÃÂrations et de ses actes avec une habileteàconsommeÃÂe. Il n'a pas su voir tout ce que la conscience humaine, cette clarteàinteÃÂrieure, projette autour d'elle ; mais la conscience elle-meÃÂme, il l'a analyseÃÂe, il l'a sondeÃÂe avec une admirable sagaciteÃÂ. L'historien de la philosophie n'oubliera pas qu'il a le premier mis en relief tout ce que l'esprit doit aàl'association des ideÃÂes, au renouvellement des expeÃÂriences [20]. Sans doute, dans ses analyses de la conscience, il a surtout songeàaàfixer les limites de la penseÃÂe, aàlui reÃÂveÃÂler son impuissance, et il occupe une grande place dans les annales de la philosophie critique, comme continuateur de Locke et comme anceÃÂtre de Kant. Mais il n'a pas cependant borneàses efforts aàcette critique neÃÂgative. La philosophie n'a pas eÃÂteàseulement pour lui ce une discipline destineÃÂe aàlimiter la connaissance û ; elle a eÃÂteàun instrument pour (xxxix) l'eÃÂtendre û, pour l'eÃÂtendre au moins dans le domaine des faits psychologiques, deÃÂcrits avec preÃÂcision, relieÃÂs les uns aux autres, rameneÃÂs aàleurs eÃÂleÃÂments simples apreÃÂs avoir eÃÂteàsaisis dans leur complexiteÃÂ. Son nom est avant tout lieàaux destineÃÂes de cette psychologie descriptive, analytique, qui tient aàne se perdre ni dans les speÃÂculations de la meÃÂtaphysique, ni dans les dissections de l'anatomie, qu'on ne peut plus se contenter de nos jours d'appeler la psychologie sans eÃÂpitheÃÂte, au milieu de tant de pseudo-psychologies, et qu il conviendrait peut-eÃÂtre d'appeler la psychologie mentale, comme on dit la veÃÂriteàvraie. C'est bien cette science qu'il preÃÂtendait inaugurer et fonder dans le Traite de la nature humaine, comme le prouvent ces paroles, qui assureÃÂment n'ont rien de sceptique : ë Nous devons glaner des observations nombreuses par une eÃÂtude attentive de la vie humaine, et recueillir les faits comme ils se preÃÂsentent aànous dans le cours ordinaire de l'existence, en examinant la conduite des hommes dans la socieÃÂteÃÂ, dans les affaires et les plaisirs. Le jour ouàles observations de cette espeÃÂce auront eÃÂteàjudicieusement rassembleÃÂes et compareÃÂes, nous pourrons nourrir l'espoir de constituer avec ces faits une science qui ne sera pas infeÃÂrieure en certitude et qui sera peut-eÃÂtre supeÃÂrieure en utiliteàaàtoute autre science de compeÃÂtence humaine.
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"It is widely agreed that Parmenides invented extended deductive argumentation and the practice of demonstration, a transformative event in the history of thought. But how did he manage this seminal accomplishment? In this book, Benjamin Folit-Weinberg finally provides an answer. At the heart of this story is the image of the hodos, the road and the journey. Brilliantly deploying the tools and insights of literary criticism, conceptual history, and archaeology, Folit-Weinberg illuminates how Parmenides adopts and adapts this image from Homer, especially the Odyssey, forging from it his pioneering intellectual approaches. Reinserting Parmenides into the physical world and poetic culture of archaic Greece, Folit-Weinberg reveals both how deeply traditional and how radical was Parmenides' new way of thinking and speaking. By taking this first step toward providing a history of the concept method, this volume uncovers the genealogy of philosophy in poetry and poetic imagery"-- Provided by publisher.
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What is the connection between philosophical enquiries and storytelling in contemporary narrative? Is it possible to outline some features of a so-called philosophical fiction in Western literature throughout the last two centuries? This book aims to provide multi-disciplinary insight on this long-standing issue and to give a plural answer, hosting extensive essays by seven young researchers coming from different fields.
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In the first pages of the Zibaldone, Leopardi had noted that the "love of learning" induces a passion for philosophy, making it a foundational element of modern culture. In this perspective, then, no doubt remains as to the prominent position of Voltaire’s Candide, or of Rousseau’s thought, which combines philosophical thinking, educational demands, political passion and autobiography. However, in order to move from the count to the novel, from the apologue and from the treatises to complex characters who also maintain a strong and speculative allure, one had to leave the 18th century, experience Romanticism, feed the rêveries of the new promeneurs solitaires during the following century, with the restlessness and the questions of Dostoevsky, Kafka, Sartre, Camus, and of Pirandello, Proust, Musil and many others; of those who combined the passion for short stories with the unmasking of any deceptive theodicy. Bringing the the novel back to bourgeois intertwining and existential anxieties, starting from Cervantes’s ironic way of thinking. In the absence of declarations, however, where does one find the evidence of the presence of the philosophique in the novel, or how does one identify texts pertaining to the definition of roman philosophique? This book, conceived and edited by Anna Dolfi, does not only raises the problem, but tries to solve it as well. At the same time, it brings the ideas of the novel and from the novel together with constructive theories, and compares the insignificant with significance, mythical emblems and codes, semiosis and destiny, while also observing how language, in the parade of the authors, changes itself and even touches the figurativeness of the graphic-novel. This volume constitutes the final point of arrival of a path which, in samples, locks significant fragments in the otherwise infinite kaleidoscope of narration.
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"How have poets in recent centuries been able to inscribe recognizable and relatively sincere voices despite the wearing of poetic language and reader awareness of sincerity’s pitfalls? How are readers able to recognize sincerity at all given the mutability of sincere voices and the unavailability of inner worlds? What do disagreements about the sincerity of texts and authors tell us about competing conceptualizations of sincerity? And how has sincere expression in one particular, illustrative context--Russian poetry--both changed and remained constant? An Indwelling Voice grapples, uniquely, with such questions. In case studies ranging from the late neoclassical period to post-postmodernism, it explores how Russian poets have generated the pragmatic framings and poetic devices that allow them to inscribe sincere voices in their poetry. Engaging Anglo-American and European literature, as well as providing close readings of Russian poetry, An Indwelling Voice helps us understand how poets have at times generated a powerful sense of presence, intimating that they speak through the poem."--
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Philosophy --- Literature --- Philosophy in literature. --- Philosophy.
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Que « tout parle » en l'ouvrage de La Fontaine ne doit pas tromper sur ses intentions élégamment tournées en vers joueurs. Les fables (« choses de paroles », selon leur étymologie) sont des histoires de gueules ouvertes et de dents acérées, l'animal fût-il doté du propre de l'homme : le langage. Car la faculté de parler y rencontre le plaisir de manger, dont elle est le prolongement au bout de la langue. La raison du plus fort se donne les raisons de souiller l'innocence pure ; la parole arme la violence et la méchanceté qui séparent des autres. Langage et pouvoir font cause commune dans ces contes âpres, criblés de loups cruels, de seigneurs voraces ou de moucherons vengeurs qui ruinent tout espoir dans l'élan civilisateur du discours et dans le profit pacificateur de la rhétorique. Par l'articulation du pouvoir et de la parole, La Fontaine fouille l'étendue de nos désirs, parcourt par maintes voies éperdues le passage de la nature à la culture, l'État, le droit, marqués par l'exercice des forces. Il passe au tamis de son anthropologie négative l'homme dans son rapport hostile au monde qu'il parasite des bruits du conflit ; et il conclut à l'hypocrisie, au leurre des solutions politiques. Ce faisant, le fabuliste se demande pourquoi parler aux hommes qui n'entendent que leurs passions, et si même la fable ne serait pas, elle aussi, compromise avec le pouvoir. À quoi sert d'écrire ? À rien peut-être sinon à l'essentiel : se laisser prendre, sans abandonner la lucidité, au charme des fictions, à s'engager dans l'alternative de l'imagination.
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"Neoplatonic allegorical interpretation expounds how literary texts present philosophical ideas in an enigmatic and coded form, offering an alternative path to the divine truths. The Neoplatonist Porphyry's On the Cave of the Nymphs is one of the most significant allegorical interpretations handed down to us from Antiquity. This monograph, exclusively dedicated to the analysis of On the Cave of Nymphs, demonstrates that Porphyry interprets Homer's verse from Odyssey 13.102-112 to convey his philosophical thoughts, particularly on the material world, relationship between soul and body and the salvation of the soul through the doctrines of Plato and Plotinus. The Homeric cave of the nymphs with two gates is a station where the souls descend into genesis and ascend to the intelligible realm. Porphyry associates Odysseus' long wanderings with the journey of the soul and its salvation from the irrational to rational through escape from all toils of the material world"--
Neoplatonism. --- Allegory. --- Philosophy in literature --- Porphyry, --- Homer.
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